1708 Masse
L'Administration était souvent confrontée à une méconnaissance du terrain qui la rendait dépendante du bon vouloir des guides locaux. Ainsi, lors de certains naufrages, tel celui dit des Portugais (janvier 1627), les autorités ne purent se rendre sur la côte que deux mois plus tard, laissant ainsi toute liberté provisoire aux pilleurs d’épaves... C'est vers 1663 que Colbert commence à lancer un rassemblement des documents permettant au roi Louis XIV de mieux connaitre le pays, éventuellement d'organiser sa défense, en privilégiant le littoral soumis aux incursions ennemies. Claude Masse (1652-1737) fit donc partie de ces équipes d'ingénieurs où se retrouvaient les architectes des ouvrages militaires, les topographes, les cartographes. Des historiens militaires précisent qu'aucun n'a exécuté autant de travaux d'une aussi remarquable perfection. De 1679 à 1736, Claude Masse dressa un nombre impressionnant de cartes mais aussi de plans de ville, des dessins de bâtiments, comme la tour de Cordouan... Pour le bassin d'Arcachon c'est la carte générale du Médoc et du Pays de Buch et des environs de Bordeaux qui nous intéresse plus directement et dont Claude Masse a fait plusieurs levés de 1688 à 1701. II déclarait alors, pour la cote du Médoc, il n '.y a point de carte levée jusqu'à présent que quelques mauvaises qui sont imprimées et qui ne sont pas vraysemblables. Il effectuait ses campagnes au printemps et en automne. Pour éviter les froids et les tempêtes d'hiver, la chaleur excessive de l'été avec les mouches et les taons. Il décrit l'équipe qui l'accompagne composée d'un jeune homme pour l'aider à faire ses alignements et pour porter son demi-cercle et sa boussole, de deux manoeuvres pour conduire et « traisner la chaine » et un autre pour les autres instruments et une double toise. II a également un valet pour les chevaux et mulets. Ils font du feu sur une côte déserte ou les nombreux débris d'épaves leur servent de combustibles ... Plus tard ii met au point ses cartes, recopie les notes prises qui sont alors des mémoires très instructifs sur les moeurs du pays. Pour nous aujourd'hui c'est encore une manne de renseignements ... ll avait prévu 21 cartes qui allaient de la Gironde à l'étang de Cazaux, malheureusement son œuvre fut incomplète. Le carre 6 englobe presque tout le bassin d'Arcachon. Le carre 5 est également intéressant, avec Lège et le Porge, et ce dernier affluent de l'Eyre qui apporte au Bassin beaucoup des eaux du Médoc, dénommé aujourd'hui Canal des étangs, et qu'il a relevé sous le nom de « Ruisseau par où s’écoulent les eaux des étangs du nord ».
Luc FREDEFON
Cette carte est datée de 1708. Elle est un véritable trésor de renseignements pour ce début du XVIII° siècle.
Nous allons donc survoler le paysage, de village en village et essayer de s'imaginer la vie en bas...
Arès
Le village s'appelle AREZ , la place de l'église est déjà comme celle d'aujourd'hui. Des digues protège le village des fortes marées, elles se situent à 350 m environ de la plage.
L'église Saint-Eloi est bien en recul de 300 m environ de la plage à l'Ouest. Il y a deux moulins sur le ruisseau séparatif avec Arès: Celui du "Cir" (Cirès aujourd'hui) et le moulin Neuf. La route principale est beaucoup plus au Nord du rivage que celle actuelle. Elle traverse le village au niveau de l'Avenue Jean Sacchetti d'aujourdhui et se reprend au Sud du lotissement le Pas des Moliettes.Il y aurait une quarantaine de maisons...
Trois très petits hameaux composent cette future commune. "Taussa", "Cassy" et Lanton bourg. L'île de Branne s'avance déjà au droit de l'équivalent des réservoirs actuels du Roumingue.
Le bourg d'Audenge est, hélas, en dehors de la carte de Masse. Le château de Certes et son moulin trônent en revanche au milieu d'espaces des plus naturels qui deviendront des réservoirs dès 1764. Le Marquis de Civrac va en effet entreprendre d'importants travaux d'endiguements de ces prés salés pour les transformer en marais salants. Mais peu rentable, l’exploitation du sel est abandonnée à la fin du siècle et les bassins seront modifiés pour l’élevage de poisson.
Le Teich s'appelait "TUHC" et le château de RUARD. Tous les champs de culture bénéficiaient d'une protection contre les submersions marines. L'île de Malprat actuelle était encore "l'îsle de Bassalane" où les canards et autres volatiles devaient donner du bec.
5 moulins identifiables dont celui de "La Hume". Un seul port, deux belles forêts et une activité agricole assez importante et homogène. Tout le front de mer est également déjà protégé contre les fortes marées.
Manifestement, le risque d'ensablement était une réelle menace en 1708 à l'encontre du village de La Teste. Les dunes de sable (dont celles du "Satire") s'amoncelaient aux portes des cultures protégées par les bois de Montaignet et de Laurie. Au moins 5 moulins sont repérables dans le dessin très minutieux de cette carte.
La quasi totalité de l'actuelle commune d'Arcachon est occupée par une immense forêt. 5 pointes: Aiguillon, Eyrac, du Bois, de Brunet et de La Teste. Pour veiller sur le départ des marins, l'Hermitage de Notre-Dame d'Arcachon. Plus au Sud, un désert de dunes de sable.
L'isle de La Teste se trouve au milieu de bancs de sable clair, pas de vase, apparemment favorables au développement naturel des huîtres: au sud-ouest : "banc couvert d'ouitres" et au Nord :" Icy il s'y pêche quantité d'ouitres". Des dunes de sable intègre une fontaine d'eau douce et une cabane. Il y en aura deux vers 1760.
Difficilement imaginable aujourd'hui: la presqu'île du Cap-Ferret entièrement blanche ou vanillée, un désert de sables océaniques, au coeur duquel subsistent des marécages dans les lettes. Vu du Bassin, pour pouvoir se replacer dans ce contexte, il faut enlever toute la hauteur des pins actuels et tout recolorer en blanc étincelant au soleil. La Pointe aux chevaux s'appelle encore la "Pointe Maillola".
Enfin : les passes. Certainement le premier relevé aussi précis des "battures". Des cabanes de pêcheurs, probablement, occupent le banc de Matoc consigné sur d'autres cartes (voir module "Les Passes")