Le métier

Matthieu Cabaussel (président Lou Paliquey):

La fierté et la force de caractère tendent à mettre en compétition les gemmeurs. On dit que le métier s’acquiert en trois ans, le plus difficile étant l’apprentissage de l’aiguisage des outils. Le gemmeur qui ne parviendrait pas à faire couper son hapchot et à faire venir le « fil » (tranchant de l’outil), ne sera jamais un bon résinier. Le métier se transmet de père en fils. Les enfants s’entrainent sur des « pignots » (jeunes pins) en plein cœur de la parcelle, afin d’éviter que les voisins ne voient les carres du débutant. Un soin particulier est apporté aux carres en bordure de parcelles, afin que tous connaissent l’habilité et la qualité du gemmeur. Par ailleurs il est de bon ton de faire résonner le maillet pour enfoncer les crampons au début de la saison plus tôt le matin que son voisin, et de terminer plus tard.

On ne s’improvise pas gemmeur. Tous les gemmeurs ne sont pas aussi adroits et précis les uns que les autres. Carre trop large, trop profonde, pelage blessant le liber, outils déchirant le bois…il n’est pas facile de pratiquer le métier dans les « règles de l’art ». Le maniement du hapchot pour pratiquer la pique est délicat, et chaque pin est différent : tantôt tendre comme du beurre, tantôt dur comme de la pierre, parfois noué. En observateur « naïf », l’outil donne l’impression de tailler les galips naturellement…il n’en est rien. Le plus difficile pour un apprenti-gemmeur est de maitriser les techniques d’affutage. Un gemmeur ne sachant parfaitement aiguiser son outil ne fera jamais de belles carres. Il convient que l’épaisseur du métal soit minimale au niveau du tranchant du hapchot. En cas de besoin, le « piquefer » permet d’affiner l’extrémité de l’outil en « creusant » le métal. Le résinier affute ensuite l’outil avec trois pierres de granulométrie décroissante (de la plus grossière à la plus fine), tout d’abord en faisant « venir le fil » par l’intérieur de l’outil, puis en aplanissant le dos pour le faire disparaître, ainsi de suite d’une pierre à l’autre. La dernière pierre, la plus fine, permet de faire venir le fil le plus fin, qui permettra d’entailler le pin. L’outil est bien aiguisé, quand on peut s’en servir pour raser les poils du bras ou des jambes !

Les résiniers passent la semaine en forêt, parfois seuls dans leur cabane. Le dimanche ils se rendent au bourg pour la messe, retrouver famille, amis et faire la fête. En hiver, ils entretiennent la forêt, coupent le bois, débardent, paillent les chemins,…

La journée de travail commence avec le lever du soleil. Chacun emporte son hapchot et son pitey, pour parcourir la montagne de pin en pin, et s’occuper ainsi de 2000 pins par jour. Si la carre est encore basse, le hapchot suffit, mais si elle est trop haute, le résinier plante son pitey dans le sol, et monte avec une adresse et un équilibre assurés, agrippe le pin du pied gauche, repose le pitey sur la même cuisse et pique la carre de son outil. Le galip à peine tombé au sol, la résine perle de l’entaille. Le soir à peine rentré, le résinier s’assoit devant la cabane avec un pot de résine rempli d’eau pour tremper la pierre à affuter, et aiguise soigneusement son outil pour faire venir le fil à nouveau.

Léo Drouyn -les albums de dessins - Le Bassin d'Arcachon et la Grande Lande.Editions de l'Entre-deux-mers- avec le soutien du Conseil Général de la Gironde et du Parc Naturel des Landes de Gascogne (2009).

Les femmes et les enfants jouaient également un rôle important durant la campagne de gemmage. Ils vident les pots et transportent la résine. Ils ramassent également les galips et les pignes pour allumer le feu. La famille vit parfois toute l'année entière dans les cabanes de la Montagne, souvent décrites comme des « huttes de sauvages » par les voyageurs. Autour de la cabane on retrouve souvent un espace ouvert, analogue à l’airial de la lande. Il comporte une clairière où poussent des chênes, des arbres fruitiers et parfois un potager et un poulailler. Les cabanes sont toutes construites sur le même modèle : allongées d’est en ouest, la porte d’entrée au sud. La cheminée est la seule partie maçonnée de la cabane, le foyer regarde vers l’ouest. Le bardage extérieur de couleur noir est monté horizontalement à clin ou verticalement à couvre-joints. Chaque cabane est un lieu de vie unique dans la Montagne. De son seuil partent les chemins de sable dans toutes les directions comme si elle était le centre d’une étoile. Chacun des chemins mène infailliblement à un autre airial, avec son chêne centenaire et sa cabane. La forêt au temps de gemmeurs est extrêmement vivante et animée. Résiniers, muletiers, bûcherons, promeneurs…tous arpentent la Montagne et ses chemins sinueux, au chant des cigales pendant les mois d’été