En quoi consistait cette économie de cueillette?
Robert AUFAN
C’est tout d’abord la gemme qui fut à la base du système puisqu’en échange des concessions de gemmage, le seigneur percevait des taxes sur le produit récolté et qu’ensuite ce fut le seul revenu des ayant-pins.
Les produits de cette activité, auxquels s’ajoutaient ceux venus par charroi de la partie nord des Landes, furent exportés du XV° au XVIII° siècle vers nombre de ports européens. C’est pourquoi, à La Teste, en 1867, dans une dizaine d’ateliers de tonnellerie, on fabriquait des fûts pour la bière (il y avait une brasserie) mais surtout pour les brais et colophanes. Ce sont en effet les activités liées à la transformation de la gemme qui étaient les plus importantes (voir le gemmage-transformation de la gemme- les distilleries).
La forêt générait aussi toute une série d’activités artisanales liées à la transformation de la gemme
Ces activités se pratiquaient en forêt puis elles se sont en forêt puis elles se sont déplacées petit à petit dans les distilleries, installées dans le bourg à partir de 1810.
Le gemmage a aussi modelé le paysage forestier : un réseau très dense de sentes et sentiers et des arbres caractéristiques. Comme l’ayant pins ne possédait que la gemme, et non l’arbre, on gemmait les arbres jusqu’à une très grande hauteur, à l’aide d’un pitey et on le saignait au maximum multipliant les blessures, les cares, ce qui donnait des arbres qu’on ne trouve que là : les « pins-bouteilles » dont la base est renflée car les parties entre les cares, les ourles, ont éclaté.
Si certains de ces arbres sont encore en place c’est qu’ils ne sont plus utilisables pour la gemme, ni pour le chauffage, (ils sont encore verts), ni pour la construction, (leur tronc est trop abîmé) et ce sont des arbres emblématiques donc protégés.
Autre particularité, comme les usagers ayant-pins devaient délimiter les parcelles qu’ils gemmaient, ils laissaient de place en place des arbres auxquels on ne touchait pas : les pins-bornes. Beaucoup ont disparu de vieillesse et ceux qui subsistent sont actuellement l’objet d’un recensement.
Extrait de la feuille A1 "Forêt de La Teste" du cadastre de 1850: un parcellaire complexe car épousant la topographie accidentée.
Une activité connexe: la fabrication de la poix
Le gemmage s’accompagnait d’une autre activité qui était la fabrication de la poix .Elle est pratiquée depuis l’antiquité, on la connaît grâce aux fouilles subaquatiques pratiquées dans le lac de Cazaux, et grâce aux nombreuses dolia enduites de poix que l’on trouve dans la région. Mais cette activité, attestée en forêt usagère du XV° au XVIII° siècle, resta cependant très artisanale et l’aire de diffusion de la production plus locale. En effet comme l’ayant-pins ne pouvait disposer de l’arbre, les fours locaux, les hourns, de petite taille, brûlaient surtout les résidus du gemmage, car la poix était très utilisée localement pour le calfatage des bateaux et l’étanchéité des maisons en bois.
Là encore la toponymie nous rappelle le passé : le nom de Hourn Peyran apparaît dans un acte notarié en 1500, Les Deux Hourns en 1521, le Hourn Laures en 1639, le Forn Somard (près des Abatilles) en 1559, à preuve aussi les pièces de monnaie retrouvées à l’emplacement des fouilles que j’ai conduites, en forêt usagère (1641 à 1650 à Mouréou) ou sur la dune du Pilat (1558 à 1650). Celle-ci ayant recouvert une partie de la forêt usagère, il est normal d’y retrouver, sur le paléosol III, des vestiges des anciennes activités forestières.
Mais ce n’est qu’après les tempêtes, ouragans ou incendies, qu’on pouvait utiliser le bois pour le brûler dans des fours spéciaux, beaucoup plus grands, et en tirer le goudron.
Or, en temps normal, la quantité de bois disponible était beaucoup plus faible puisque les arbres étaient usagers, si bien qu’au XVII° siècle lorsque fut mise en place la Manufacture Royale de goudron destinée à alimenter les arsenaux de Rochefort, c’est surtout dans les Landes qu’elle se développa.